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« L’usage du mot ensauvagement traduit les angoisses d’une société qui s’interroge sur sa solidité et son avenir »

Pour éclairer la récente polémique, le lexicographe Edouard Trouillez revient sur le vrai sens du mot ensauvagement.

Tribune L’emploi des mots de la famille de sauvage pour décrire des problèmes de sécurité fait aujourd’hui polémique. Si le rôle des linguistes et des lexicographes n’est pas de se prononcer ni de porter un jugement, l’analyse des choix lexicaux des personnalités publiques peut être révélatrice des préoccupations de notre époque.

Les politiques savent que notre vocabulaire perd de sa puissance à force d’être répété. En choisissant des mots moins fréquents que les habituelles violences et insécurité, ils cherchent à surprendre et à marquer l’opinion.

L’origine et l’histoire de sauvage nous éclairent par ailleurs quant aux connotations du mot et de ses dérivés. Sauvage vient du latin silvaticus « fait pour la forêt » et « qui est à l’état de nature ». Il appartient à la famille de silva « forêt, bois ». Et c’est bien la nature dont il est question. L’animal sauvage vit en liberté dans la nature, les plantes sauvages se développent spontanément, sans être cultivées.

Ensauvagement : Les différents sens du mot sauvage

Appliqué aux humains, l’adjectif est notamment employé à la Renaissance à propos des peuples amérindiens. Il est ensuite impliqué dans l’opposition philosophique entre nature et culture. Ceux qu’on dit sauvages sont-ils des êtres non évolués proches de l’animal ou, selon Rousseau et le mythe du « bon sauvage », des êtres purs préservés des corruptions de la société ?

Mais le mot revêt surtout un sens plus inquiétant. Sont qualifiés de sauvages les individus qui fuient la société (vivre en sauvage) et les actes marqués par la brutalité et la barbarie (crime sauvage). Il est question d’une incapacité ou d’un refus de se soumettre aux lois de la vie en groupe.

Un retour à une animalité menaçante

Cette idée apparaît dans l’évolution du dérivé sauvageon. Il désigne un « arbre non greffé », puis un « enfant qui a grandi sans éducation, comme un petit animal ». En 1998, avec les propos de Jean-Pierre Chevènement, alors ministre de l’intérieur, s’ajoute le sens de « jeune délinquant », où subsiste la notion d’absence de cadre éducatif. Avec ensauvager et ensauvagement, le retour à la nature peut être perçu positivement : « Un antre, une tanière, où il fait bon de s’ensauvager toute une journée », écrivent les Goncourt en 1866.

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